Vivre dans la peur
Je me rendais à ma place dans mon cours d’histoire lorsque j’ai entendu ces mots. 20 ans plus tard, je peux encore vous dire qu’il portait une chemise rouge ce jour-là. Je me rappelle qu’il s’apprêtait à quitter, puis se retourna vers moi pour me faire une autre remarque. Il sembla prendre un temps de réflexion avant que les mots sortent : « Je ne pourrai jamais oublier ton visage. Il est si laid ».
Le harcèlement peut prendre différentes formes. Certaines personnes se font enfermer dans des casiers, alors que d’autres se font bousculer ou battre. Certains entrent dans une pièce et tout le monde tourne la tête. Pour moi, c’était des mots : « Tu es tellement stupide » et « Tu sais que personne ne t’aime, n’est-ce pas ? ». Parfois, c’était des critiques sur mon apparence. D’autres jours, en prenant l’autobus, j’entendais des descriptions graphiques de ce que je devais être au lit.
C’était implacable. Ils étaient au nombre de six et j’étais seule donc j’ai rapidement appris le langage du silence : garde les yeux fixés sur le sol, ne dis pas un mot, essaie d’être invisible… Peut-être que s’ils oublient que tu es là, cela s’arrêtera.
Cela ne s’est pas arrêté.
Cela ne s’est pas arrêté à 14, 15 ou 16 ans. Lorsque je suis entrée à l’université, j’espérais pouvoir disparaître parmi la foule des étudiants, mais ça n’a pas fonctionné non plus. Cela ne s’est pas arrêté cette année-là, ni la suivante, ni celle d’après.
J’avais l’habitude de descendre de l’autobus et de marcher aussi lentement que possible pour rentrer à la maison. Ce n’était pas que je ne voulais pas être chez moi, mais à partir de cet instant je savais que je n’avais que 18 heures de répit avant de retourner à l’université. C’était le moment le plus sûr de la journée, mais l’horloge continuait de tourner.
Garde les yeux fixés sur le sol, ne dis pas un mot, essaie d’être invisible... Peut-être que s’ils oublient que tu es ici cela s’arrêtera... Cela ne s’est pas arrêté.
Je peux vous dire par expérience que la peur correspond à une façon épuisante de vivre. Il ne me restait que les soirs et les weekends de répit. Je peux imaginer à quel point c’est difficile pour les étudiants d’aujourd’hui, alors qu’Internet peut répandre des mensonges et que les réseaux sociaux donnent aux intimidateurs un moyen de vous atteindre le matin avant même que vous ne soyez sorti du lit.
Voilà ce que je sais maintenant : j’aurais pu recevoir de l’aide si j’en avais demandé. J’ai réussi à me distancer de mes persécuteurs, mais j’aurais pu le faire des années plus tôt si je m’étais confiée à quelqu’un. J’étais trop effrayée pour dire quoi que ce soit, terrifiée à l’idée que cela devienne pire. Je n’ai pas dit un mot. J’en ai parlé à mes parents plusieurs années après que ce soit fini. Un jour, un de mes professeurs préférés m’a demandé : « est-ce que ces garçons t’embêtent ? ». Je lui ai menti.
Maintenant adulte, je reconnais que l’intimidation fait partie du harcèlement. C’est aussi une autre forme d’abus. Le plus fort isole la victime. Il la convainc que ce qu’elle croit est faux. Il lui rappelle encore et encore que personne n’écoute, qu’elle est invisible. Les intimidateurs et les « bully » vous font croire que vous n’avez aucune importance et que personne ne viendrait vous secourir, même en sachant que vous souffrez. Ils vous convainquent que vous êtes complètement seule et c’est une conviction très dangereuse.
Le fait de croire que toutes ces choses horribles qu’ils me disaient étaient vraies m’a finalement conduite à planifier mon suicide. J’ai entendu les gens dire que « le suicide est une solution permanente à un problème temporaire » et, sans ne vouloir insulter personne, c’est stupide. Avec le temps, j’étais prête à mettre fin à ma vie ; j’avais dû faire face à la violence verbale et psychologique chaque jour, pendant plus de six ans. Ce n’était pas temporaire. J’avais 16 ans à l’époque; c’était presque la moitié de ma vie.
Les blagues et les mots bien placés n’aident pas à faire face à quelque chose d’aussi sérieux et effrayant que le harcèlement et le suicide. Cette définition d'un site web sur le suicide est appropriée : « le suicide n’est pas choisi ; il arrive lorsque la douleur l’emporte sur les moyens qui peuvent aider à la soulager. »
Le suicide est considéré lorsque le poids insupportable que quelqu'un porte finit par l'écraser. Ce n’est pas une échappatoire, un choix égoïste, la facilité ou une fuite. C’est la scène finale d’une bataille qui n’a jamais été juste. Le suicide est toujours une tragédie. C’est toujours la pire fin possible. Si vous ou un de vos proches avez des pensées suicidaires, cherchez de l’aide dans un centre d’appel, sur Internet ou dans votre entourage. C’est la meilleure solution.
En tant qu’adulte, il y a autre chose que j’ai apprises : cela prend énormément de temps pour faire sortir de votre tête les mots que les intimidateurs ont utilisés et pour faire taire ces voix. Lorsque vous avez entendu encore et encore les mêmes mots, ils finissent par s’incruster dans vos pensées. Il est possible d’effacer ces dégâts, mais cela prend du temps.
Le suicide est considéré lorsque le poids insupportable que quelqu'un porte finit par l’écraser. Ce n’est pas une échappatoire, un choix égoïste, la facilité ou une fuite. C’est la scène finale d’une bataille qui n’a jamais été juste.
La première fois que j’ai raconté mon histoire, ma véritable histoire, c’était pendant ma dernière année universitaire. Je me suis confiée à un de mes meilleurs amis et il m’a tenu la main alors que je lui parlais en tremblant. À ce jour, il est le seul à connaître tout ce que j'ai subi.
J’avais pris l’habitude de lire une lettre qu’il m’avait écrite dès que de mauvaises pensées me traversaient l’esprit. C’était quelque chose de vrai que je pouvais tenir entre mes mains chaque fois qu’un doute m’assaillait. Ça a été ma bouée de sauvetage pendant longtemps. Cela me fait plaisir de dire que je n’en ai plus autant besoin maintenant.
Si tu as été harcelée, ces mots sont aussi pour toi. N’hésite pas à te les approprier.
N’écoute pas les voix. Tu es belle. Tu es intelligente. Tu es aimée. Tu n’es pas seule.
Si tu es harcelée ou si tu entends encore ces choses qu’on avait l’habitude de te dire à l’école, tu n’es pas seule. Tu n’es pas celle qu’ils prétendent que tu es. Si tu veux en parler, nous sommes là. Remplis simplement le formulaire de contact ci-dessous et quelqu’un communiquera avec toi rapidement.
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